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 Petite chronique d'un scandale annoncé

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ISA




Nombre de messages : 6
Localisation : Québec
Date d'inscription : 05/01/2006

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MessageSujet: Petite chronique d'un scandale annoncé   Petite chronique d'un scandale annoncé EmptyLun 9 Jan - 19:06

Option Canada - Petite chronique d'un scandale annoncé
Jean-Claude Leclerc Édition du lundi 9 janvier 2006
LE DEVOIR

Cette histoire débute en 1964. Les bombes du FLQ ont commencé
d'éclater au Québec. Et, plus peut-être que le terrorisme, une
révolution tranquille bat son plein, qui inquiète le reste du
Canada. Pendant qu'à Ottawa un gouvernement alors conciliant promet
des changements, à Montréal, réunies à l'hôtel Windsor, plus de 40
personnalités canadiennes conviennent qu'elles doivent aider à
prévenir une crise.




Deux ans plus tard, un Comité Canada rend publique une Déclaration
de Canadiens d'_expression française et d'_expression anglaise, signée
par 60 personnalités connues. En 1968, ce comité ouvre un
secrétariat. L'année d'après, il obtient d'Ottawa le statut fiscal
d'organisme de charité. Ses lettres patentes en décrivent les
objectifs :
- Effectuer des recherches et des études afin d'amener les hommes et
les femmes du pays «à mieux comprendre» le Canada, ses provinces, et
ses institutions;
- En diffuser les résultats et conclusions par la tenue d'assemblées
publiques, par la publication de documents «et par divers moyens de
communication».

Pendant une dizaine d'années, ce comité organise une Semaine du
Canada pour laquelle il s'efforce de mobiliser gens d'affaires,
mairies, clubs sociaux, écoles, église et même hôtels et
restaurants. Des milliers d'affiches sont distribuées dans toutes
les provinces.

Après l'élection d'un gouvernement du Parti québécois (PQ), le
Comité Canada, devenu le Conseil pour l'unité canadienne (CUC),
s'emploie à produire des «symposiums télévisés», puis des séries
d'émissions sur la Constitution, diffusées avec le concours des
principales stations de radio et chaînes de télévision du pays.

Le CUC publiera aussi maints livres, essais, bulletins d'information
et revues. Quelques-unes de ces publications seront assez tôt
hostiles à la séparation du Québec. Ainsi en 1970 : Le Séparatisme ?
Non ! 100 fois non !



Tout un programme d'échanges et de stages sera développé pour la
jeunesse du pays. L'organisation réalisera aussi, au coût de trois
millions de dollars, le Centre Terry-Fox, du nom de ce jeune
handicapé devenu un héros national pour sa campagne contre le
cancer.




Le CUC présentera une douzaine de mémoires sur la question
linguistique au Québec et sur la réforme constitutionnelle au
Canada. Il tiendra six colloques nationaux. Ses congrès annuels
accueillent des personnalités de la politique, des affaires et des
médias.



En 1977, devenu plus directement «politique», le CUC a pris
l'initiative de regrouper dans un comité pro-Canada divers
organismes et partis qui menèrent, selon sa propre _expression, «à la
victoire des tenants du 'Non' lors du référendum du Québec».

Ses activités continuent les années suivantes, alors que vont
échouer les efforts du premier ministre Brian Mulroney pour régler
le problème de l'unité nationale. Le retour du PQ au pouvoir à
Québec et du Parti libéral à Ottawa annonce alors une nouvelle
épreuve de force.

À l'approche du deuxième référendum québécois, le CUC s'abouche avec
les libéraux provinciaux et fédéraux ainsi qu'avec le Parti
conservateur. Il prépare une évaluation des forces souverainistes.
Mais surtout, deux mois avant le référendum de 1995, ses dirigeants
créent Option Canada, une entité qui échappera à l'attention des
médias et à celle au Directeur des élections chargé de la
consultation populaire.

Les objectifs inscrits aux lettres patentes d'Option Canada sont
pourtant clairs. Sa mission est de faire «la promotion et
l'avancement de l'unité nationale par tous les moyens, juridiques,
politiques et autres». On est le 7 septembre.

Où sont passés les fonds ?

Sept jours plus tard, Option Canada reçoit 1 million de dollars de
Patrimoine Canada. Puis, peu après, le 2 octobre, une tranche de 2
millions. Enfin, un troisième versement, pour 1,8 million, le 20
décembre. On trouvera une trace de cette somme aux seuls comptes
publics du gouvernement. Rien au rapport annuel des organisations
bénéficiaires.

Le responsable des fonds d'Option Canada, René Lemaire, qui
travaille aussi pour le CUC, refuse d'en rendre compte publiquement.
Au journaliste de la Gazette, Claude Arpin, qui s'enquiert des
opérations, il se borne à dire que les fonds proviennent de
donateurs privés et de compagnies. La subvention du fédéral s'y est
ajoutée, servant à payer les dernières factures.

Le CUC, explique-t-il, étant un organisme à caractère charitable, il
fallait lui créer, pour sauver le Canada, un «bras politique». Au
ministère du Patrimoine, passé sous l'autorité de Sheila Copps, on
assure à Arpin qu'Option Canada a, d'après le dossier, respecté les
conditions de la subvention.

Claude Dauphin, un ancien consultant du CUC, qui sert de président à
Option Canada, nie que ces fonds aient servi à des opérations
référendaires, bien qu'il prétende n'avoir rien su de leur gestion.

Le sénateur conservateur Claude Nolin et l'organisateur libéral John
Rae disent, eux, n'avoir jamais entendu parler d'Option Canada. À
leur connaissance, les règles du référendum ont été respectées.

Quand la Gazette révèle l'affaire, le 20 mars 1997, Copps déclare
qu'Option Canada n'a rien dépensé durant la période proprement
référendaire et que la subvention (4,8 M$) correspond à ce que le
gouvernement de Jacques Parizeau a accordé au Conseil de la
souveraineté du Québec. Une enquête du Directeur québécois des
élections découvrira cependant qu'Option Canada avait d'abord
demandé à Ottawa une subvention de 10 millions.

En janvier suivant, Arpin rapporte qu'une vérification interne a
conclu que les employés de Patrimoine Canada n'avaient pas respecté
la politique du ministère en accordant aussi vite une si importante
subvention. On y déplore aussi qu'aucun rapport n'ait été exigé de
l'organisme quant à ses sources de financement et aux résultats. Ni
de confirmation que les fonds ont été dépensés aux fins déclarées.
(Un haut fonctionnaire explique que les gens du CUC étant bien
connus à Patrimoine Canada, on a fait confiance à Option Canada. Le
CUC obtient, en effet, de ce ministère quelque 5 millions par an,
soit la moitié environ de son budget.)

Puis le Vérificateur général, Denis Desautels, examine le dossier.
Faute de documents, il devra clore son examen sans avoir tiré les
choses au clair. Une employée de Patrimoine, Lyette Doré, nommée au
rapport interne, passe entre-temps à l'Office national du film
(ONF). Il ne s'agit pas d'une fonctionnaire subalterne. Elle a
occupé de hauts postes au Conseil privé, au ministère de la Justice
ainsi qu'au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Le Bloc québécois demande une enquête publique. Mais Mme Copps
refuse. Elle soutient que le problème est d'ordre administratif et
peut être corrigé en modifiant le système des subventions du
ministère. L'affaire va ainsi quitter l'actualité politique. Mais
les explications officielles n'ont pas satisfait les critiques.

Ainsi, la National Citizens's Coalition demandait à quelles fins la
subvention avait été utilisée. Pour son président, un certain
Stephen Harper, Patrimoine Canada a remis plus de 4,8 millions à
Option Canada «sans avoir possiblement une idée de ce que le groupe
entendait faire avec l'argent ou qui au juste allait le dépenser».

Sept ans après, on n'en sait guère plus, mais la question reste
pertinente.

***

Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de
Montréal.

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