LA DIFFICULTÉ D’UNIR LES FORCES INDÉPENDANTISTES
Trop de débats et trop de combats sur des objets et des objectifs autres que l’indépendance
Bruno Deshaies vigile.net
jeudi 2 mars 2006
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« Tout nationalisme complet est séparatiste. »
(Maurice Séguin, Les Normes, 3.2.4.c-6.)
« Vivre dans les priorités des autres en toute docilité,
voilà notre destin canadian, irresponsables et ingénieux
à se trouver des manières de composer
avec les exigences de la dignité. »
(Robert Laplante, RÉF., no 2.)
Il faut un véhicule de l’unité québécoise ? Où se trouve-t-il ce pôle centripète en ce moment ? Si vous le savez, dites nous-le ?
Les caractéristiques de la population québécoise étant ce qu’elles sont, il serait naïf de penser que le Québec-Français est une réalité forte au plan politique, économique et culturel. En fait, la minorité ethno-culturelle québécois-française au Canada ne représente même pas la totalité du poids démographique des Québécois au sein du Canada. Ce n’est qu’une majorité à l’intérieur du Québec (donc une majorité locale MINEURE et provincialisée au sein de la fédération canadienne) par rapport à des minorités bien constituées dont l’une est une minorité anglaise qui a le statut d’une minorité MAJEURE et qui jouit en plus de sa liaison naturelle avec la majorité canadian du Canada-Anglais, d’où « le problème de la minorité dans la minorité (p. 47) » comme le signale si justement Pierre George (cf. RÉF., no 1, p. 39-48). Une lutte démocratique véritable en vue de l’indépendance du Québec dans ce contexte là ne peut certainement pas garantir le succès ipso facto du combat en faveur de l’indépendance. Si le combat devait avoir lui avec un maximum de chances de succès, il devrait se faire à partir d’un cadre conceptuel complet qui porterait sur la nature véritable de l’indépendance.
À ce jour, nous considérons que la connaissance de l’optique indépendantiste est loin d’animer fortement les esprits au Québec. L’ambivalence dont on parle tant dans notre milieu universitaire, parmi nos journalistes et nos polémistes, comme chez les gens ordinaires, ne tient pas uniquement au fait que l’optique fédéraliste est omniprésente dans la société, mais de l’erreur conceptuelle qui entoure la notion d’indépendance collective elle-même. Chez ceux et celles qui ont fini par comprendre sérieusement et fondamentalement la nature et le sens profond de l’indépendance, il se produit un changement profond dans leur vision du monde ; leur regard sur eux-mêmes ou sur la société à laquelle ils appartiennent se transforme radicalement (cf. RÉF., no 2). Les mouvements de libération nationale sont impossibles si la conscience d’être distinct et de vouloir assumer cette distinction ne s’exprime pas clairement et ouvertement. En tout cas, ce ne sont pas des réflexions à haute voix de monsieur André Boisclair sur la tenue d’un « référendum propre » qui vont améliorer le débat (voir RÉF., no 3). C’est tout simplement de la fuite en avant.
Pour changer de registre de discours politique, les Québécois-Français pourraient réfléchir sur cette remarque du géographe Pierre George dans son analyse des minorités où il esquisse un « portrait et genèse des minorités ». Voici ce qu’il écrit :
Si les grands ensembles et les forces unitaires occupent l’essentiel de la scène de la géographie politique et économique et font l’objet d’études globales relativement simples, l’agitation des minorités procède d’une multitude de situations particulières et d’aspirations à des solutions différentes selon le cas. […] Par ailleurs, dans certains cas particuliers, une minorité peut s’imposer par son accession au pouvoir et renverser l’ordre des valeurs respectives entre minorité et majorité ou MINORITÉ DEVENUE DIRIGEANTE et minorités dominées. » (Voir RÉF., no 1, p. 11. Les passages en caractères gras et les mots en majuscules sont de nous.)
Pour sa part, le directeur de la revue L’Action nationale, monsieur Robert Laplante, est justifié d’écrire dans sa dernière Chronique du lundi que cinq articles parus dans le quotidien Le Devoir illustrent « un moment fort dans la chronique de l’enlisement provincial » (RÉF., no 2). Il y voit même « une pièce d’anthologie » (Ibid.) En fait, il critique « la vie de la bourgade » telle qu’illustrée dans l’édition du 27 février de ce quotidien supposément souverainiste. Il écrit :
Pour calmer les têtes brûlées qui prétendent que le premier geste à poser pour sortir de ce régime consiste à cesser de SE PENSER DANS LES CATÉGORIES DES AUTRES POUR SE DIRE DANS LES EXIGENCES DU PAYS RÉEL, rien de mieux que de servir à tout le monde une bonne capsule de médiocrité. (VOIR RÉF., no 2. Le membre de phrase en majuscules est de nous.)
Monsieur Laplante met le doigt sur le bobo quand il constate le processus de déréalisation qui est en marche dans « la bourgade » québécoise qui inclut toute la région métropolitaine dans le Québec. Imaginer, il faut même le dire ! L’ironie qui domine sa chronique est parfaitement de bon aloi. Ne serions-nous que des « minoritaires pour la corvée de vaisselle » (voir Ibid.) ?
L’affirmation collective n’est pas seulement un jeu de l’esprit, il est un engagement profond. Cet engagement ne s’englue pas dans l’optique fédéraliste, car il conduit à la maîtrise complète de la destinée collective comme majorité du Québec-Français. C’est choquant ? Pas du tout ! Depuis le temps qu’on dit et qu’on nous redit que c’est en français qu’on vit au Québec, pourquoi pas se donner alors les assises d’un État indépendant pour en finir avec le statut d’un Québec « minoritaire dominé » au lieu d’un Québec en tant que « minorité dirigeante », c'est-à-dire comme une majorité qui maîtrise complètement à l’interne et à l’externe son agir collectif au plan politique, économique et culturel ? Ainsi, le terme minorité changerait de sens. Autrement dit, comme l’explique Pierre George, « le fait d’être en minorité implique en même temps celui d’être juridiquement ou sociologiquement MINEUR. » (Voir RÉF., no 1, p. 5. Le mot en majuscules est de nous.) Pour sortir de cet état de minorité dominé, il faut devenir une majorité ou une minorité dirigeante qui accède à une position de MAJEUR.
La lutte nationale que mènent les Québécois-Français depuis plusieurs décennies demeure jusqu’à ce jour inconstante et surtout inconsistante. Elle donne principalement dans toutes sortes de directions tant au plan de la doctrine de l’indépendance que des stratégies politiques et référendaires et même des combats sociaux qui n’en finissent plus de se multiplier en divisant d’autant plus l’ensemble des forces indépendantistes. Il est navrant de constater que les chefs successifs du Parti québécois soient tellement obsédés par les référendums, mais beaucoup moins quant à l’objet même de leur cause : l’indépendance du Québec. Ils en parlent généralement du bout des lèvres et presque en s’excusant. Et si le pouvoir devenait à portée de la main, ils pirouetteraient continuellement ne sachant sans doute pas trop que faire de cette obligation qui leur incombe de travailler sans relâche pour faire l’indépendance. Ils deviennent engourdis par la solution de problèmes sociaux qui les accaparent entièrement. Les hauts-fonctionnaires du Québec qui ne « fonctionnent » que dans un esprit provincialiste n’ont aucune ambition d’entrevoir leur action sectorielle et administrative de l’État dans l’optique indépendantiste. Ils n’en ont aucune maudite idée ! Ou plutôt, ils maudissent le fait d’avoir à comprendre cette posture politique d’un parti souverainiste qui ne sait sur quel pied danser lorsqu’il prend le pouvoir à Québec. Sans une bonne formation à l’optique indépendantiste, il est très difficile d’entrevoir le changement fondamental que les indépendantistes espèrent voir arriver en grand nombre. « Les indépendantistes, souligne Robert Laplante, ne se voient pas aller. Les Québécois, pas davantage, qui ne se voient plus autrement que dans le flou, le regard perdu dans « la graisse de bine » canadian. » (Voir RÉF., 2.)
Il est trop facile de jeter la pierre aux purs et durs, de traficoter des explications vaporeuses qui s’étalent dans le programme du parti sur 27 pages dont le premier paragraphe d’envoi est aussi insipide que d’affirmer aujourd’hui que le genre humain est composé d’hommes et de femmes. Lisons ensemble ce premier paragraphe du programme péquiste Un pays pour le monde.
« Le peuple québécois composé de l’ensemble de ses citoyennes et citoyens, est libre de décider lui-même de son statut et de son avenir. Le Parti québécois s’est formé à partir de la conviction qu’il y a urgence d’établir un Québec souverain, au premier plan, l’urgence d’assurer que le Québec demeure un territoire de langue et de culture française. Cela est le cœur du projet souverainiste. (p. 1) »
Vous avez bien lu. En plus, les paragraphes qui suivent immédiatement ne sont ni plus éclairants ni plus stimulants. Il est grand temps que les Québécois se libèrent de cette façon de se gargariser de mots. Ils doivent principalement chercher à s’unir autour d’un programme politique écrit d’après l’optique indépendantiste. L’urgence actuelle consiste à unir les forces indépendantistes par delà les partis politiques.
Bruno Deshaies
RÉFÉRENCES
(1) Pierre GEORGE, Géopolitique des minorités. Paris, Gallimard, 1984 (Coll. « Que sais-je ? » no 2189).
(2) Robert LAPLANTE, « Une capsule de médiocrité. » VIGILE.NET. Bulletin du lundi 27 février 2006. Un article qui dénonce le vieille atavisme du Québec « une province comme les autres » jusqu’à la nomination d’un juge de la Cour suprême où Le Devoir « fait des bulles » et qu’un député du Bloc nous apprend « comment les travaux du comité [parlementaire] allait aider à démarquer l’exercice de l’esprit américain qu’il l’a inspiré ». N’est-ce pas une bonne collaboration pour faire marcher la machine canadian ? Et Robert Laplante de commenter de façon cinglante : « Et nous devrions être fiers de lui ?! Il est responsable. Le Bloc nous l’avait promis. Et voilà comment un parti prônant la sortie du régime sert à en consolider l’une des plus fortes institutions. » Un bel exemple qui prouve la nécessité de créer l’unité des forces indépendantistes pour contrer de telles inepties.
(3) PRESSE CANADIENNE, « Boisclair veut un référendum propre. » Dans La Presse, lundi 27 février 2006, p. A8.
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