Derrière la Ligne Maginot
Robert Laplante ACTION NATIONALE
BULLETIN du lundi 20 février 2006
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Ça revient chaque année comme la mauvaise grippe. Cette semaine encore, la Commissaire aux langues officielles de ce très bilingue Canada a déposé son florilège des lamentations. L’armée se conduirait mal. Non seulement elle néglige de traduire les manuels pour ses soldats francophones mais elle en rajoute en regimbant sur les exigences de la très distinguée commissaire qui vient de s’éveiller à une vérité de la vie dans les forces armées : « Les langues officielles ne sont pas intégrées à la culture organisationnelle ». Rien de moins. Et il faudrait feindre de s’en étonner pour mieux l’accompagner dans son indignation de circonstance. Elle a la pause, cette commissaire, vraiment.
Il faut donner une médaille à Dyane Adam. Voilà une tâche à la hauteur de Michael Jean, la création de la médaille Sysiphe de l’hypocrisie canadian. Heureusement qu’elle est grassement payée « pour faire semblant que c’est intéressant », comme dirait Richard Desjardins. Autrement, il faudrait lui offrir une protection particulière contre l’épuisement professionnel. A défaut d’intégrité intellectuelle et de réalisme élémentaire, il en faut des compensations pour colmater sans cesse les brèches qui lézardent la façade idéologique du plus meilleur pays du monde.
Le Canada est un pays anglais qui dépense des sommes importantes pour faire semblant qu’il ne l’est pas. Et depuis Trudeau, au moins, en dépit de la persistance dans la population d’une grogne certaine fondée tout aussi bien sur le racisme larvé que sur l’incompréhension indifférente ou ignorante, les gouvernements successifs ont continué de jeter de l’argent dans la mascarade. Par-delà les discours ronflants, ils l’ont fait en pensant que cela leur permettait de calmer le Québec, de tenter de contrer le mouvement souverainiste en continuant de nier la réalité nationale québécoise et en se donnant, en prime, une coquetterie identitaire pour essayer de se démarquer des Etats-Unis. Cet argent n’a jamais été investi pour promouvoir le français mais bien pour assurer « l’unité nationale » et c’est pourquoi, jamais, on n’a été soucieux à Ottawa de l’efficacité de cette politique eu égard à la situation réelle de la langue française.
Et pour cause, la politique des langues a toujours été conduite d’abord en fonction des exigences de la propagande et de la politique de « containment » de la nation niée. Elle a longtemps servi de hochet idéologique aux ténors fédéralistes québécois. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ils sont devenus des inconditionnels du Canada au point de souscrire de plus en plus ouvertement à sa logique unitariste. Ils veulent bien faire semblant de se préoccuper des rapports des Dyane Adam de ce monde, mais c’est pour la frime. Aucun constat n’y sera jamais assez sombre et sévère pour les amener à remettre en cause le lien canadian. Ils commencent à le dire entre eux : on ne brise pas un pays pour ça. Ça, bien sûr, c’est la langue, notre langue. On déplore l’assimilation, on constate les injustices, on se résigne à la mauvaise foi de l’armée, cette fois, du ministère de Finances, la prochaine, et ainsi de suite de rapport en rapport. La vérité, c’est que les inconditionnels du Canada ont abdiqué. Ils consentent chaque jour plus ouvertement à notre minorisation et à l’inéluctable marginalisation de notre langue.
L’élection d’un gouvernement conservateur ne fait que rendre encore plus visible une vérité qui ne se peut plus nier. Le Canada s’organise désormais en traitant le « fait français » avec mépris ouvert et désinvolture. Un ministre anglophone unilingue pour la Francophonie ? So what ! Harper sait bien que ses francophones de service vont l’avaler. Il sait aussi que la cinquième colonne d’unitaristes qui entretiennent l’illusion du Québéc-minorité-bien-traitée vont trouver quelque manière de plaider la patience, la compréhension, les excuses plates. Il se trouvera toujours un éditorialiste de Gesca pour minimiser la chose et faire passer pour des têtes brûlées ceux-là qui oseront dénoncer le mépris. Et nous dire qu’il faut persévérer tout en comprenant que les mentalités évoluent lentement. Et pour laisser le temps faire son œuvre dans un ordre constitutionnel redessiné explicitement pour combattre la loi 101 et détruire nos aspirations à vivre ici, chez nous, dans la langue de notre vie.
Et c’est vrai que le temps fait son œuvre. Le spectacle de la lâcheté des chantres du Canada bilingue ( for francophones only) a achevé de convaincre l’opinion publique canadian que tout cela n’est que de la frime pour occuper la bourgade. Dyane Adam fait sourire à Toronto. Tout le monde sait bien que tout cela est aussi insignifiant qu’inoffensif et que tant que cela sera efficace au Québec, cela vaudra encore un peu la peine. Et ça l’est toujours encore ici, c’est utile pour continuer à travailler pour redonner aux anglophones d’ici des privilèges et une place qui les tiendront à l’abri du statut de minorité linguistique et leur permettront de se soustraire aux exigences de la vie dans un pays dont le français est la langue officielle et commune. Les programmes pour le soutien des minorités servent au Québec à hypertrophier les institutions anglophones en leur concédant des surpondérations que le gouvernement du Québec n’a jamais eu le courage de corriger, en matière de santé et d’éducation, en particulier.
Il est inutile et candide de déplorer, comme l’a fait la nouvelle député du Bloc, Mme Barbot, les manquements au bilinguisme. Il faut dénoncer les fonctions idéologiques et politiques de la Loi sur les langues officielles. Il faut avoir le courage de dire qu’il faut sortir de ce régime si nous voulons vraiment assurer l’avenir du français. Il ne faut pas se contenter de voir dans ce portrait de la situation dans l’armée « comme un élément commun qui remet en question notre rôle à l’intérieur de la fédération canadienne » ( Le Devoir 14 février). Il faut dire que ce genre de lamentations sert à endormir, à engourdir. Il faut dire que l’utilité véritable de ces rapports est de finir la besogne au Québec en continuant de fournir des paravents aux inconditionnels du Canada qui s’en servent de plus en plus ouvertement, non plus pour protéger le français mais pour restaurer l’hégémonie de l’anglais dans le Québec post loi 101.
La situation du français est désormais jouée au Canada. La loi sur les langues officielles, la constitution qui a charcuté et continuera de rogner ce qui reste de la loi 101, tout cela nous conduit tout droit dans le statut folklorique, le seul que le Canada soit prêt à nous consentir. Ceux-là qui continuent de s’agiter dans les termes de la fausse symétrie de la situation des langues minoritaires tapissent leur propre cage. Les protestations de Dyane Adam couvrent les bruits d’une vraie bataille, celle qui se déroule ici, et non pas dans les appareils fédéraux. Ceux-là qui cherchent à s’en servir pour mieux accentuer les contrastes ave la situation du français au Québec sèment du brouillard devant la machine de guerre qui continue de progresser. Ce n’est pas vrai que les améliorations à apporter à la périphérie servent à mesurer le chemin parcouru et à mieux faire apprécier le confort des acquis. Ceux-là qui pensent que la paix et l’équilibre linguistique sont assurés au Québec se trompent. Ils se bercent dans les illusions de ces généraux qui ont construit la ligne Maginot.
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