La percée conservatrice ne reflète pas une remontée fédéraliste au Québec
Louis Bernard
Consultant, l'auteur était secrétaire général du Conseil exécutif à l'époque où le premier ministre René Lévesque a pris le "beau risque".
Le Soleil mercredi 25 janvier 2006
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Ne serait-ce que pour évaluer le chemin parcouru, il est intéressant de faire un parallèle entre le résultat des récentes élections et de celles de 1984 à la suite desquelles, pour la dernière fois, les conservateurs ont accédé au pouvoir à Ottawa.
On se rappellera qu'à la suite de la promesse de Brian Mulroney de faire en sorte que le Québec puisse réintégrer le giron constitutionnel canadien "dans l'honneur et l'enthousiasme", René Lévesque avait accordé l'appui du PQ aux conservateurs. Ceux-ci ont alors écrasé les libéraux au Québec, avec 58 sièges contre 17, comme dans le reste du Canada.
Évidemment, la différence avec aujourd'hui saute aux yeux : c'est la présence du Bloc québécois, fondé à la suite de l'échec de l'Accord du lac Meech, et devenu le parti qui, depuis 12 ans, domine la représentation québécoise aux Communes. Malgré l'espoir déçu d'une victoire qui aurait été sans précédent, les résultats de lundi ont confirmé cette domination.
Car même si les commentateurs ont fait grand cas de la percée conservatrice au Québec, surtout parce qu'elle était inattendue, il faut souligner que cette percée ne reflète aucune remontée fédéraliste au Québec. En effet, le total combiné des votes libéraux et conservateurs dépasse à peine celui des élections de 2004, où il était de 42,7 %, et il est inférieur à celui des élections de 2000 (49,8 %) et de 1997 (58,9 %). Cette percée est d'ailleurs presque exclusivement concentrée dans la région immédiate de Québec, ce qui limite sa portée nationale et peut la rendre aléatoire à long terme.
Voyons donc les principales conséquences de cette situation à trois points de vue : celui de l'action gouvernementale, celui des relations fédérales-provinciales et celui du débat sur la souveraineté du Québec.
L'action gouvernementale
Les Québécois seront surpris par le programme d'action du gouvernement conservateur, si son statut minoritaire lui permet de le mettre en oeuvre, car ils auront souvent peine à s'y reconnaître. Cela sera notable dans presque tous les domaines de compétence fédérale : le mariage, les drogues, la délinquance juvénile, les armes à feu, les brevets, l'environnement et la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, les dépenses militaires, les relations internationales et, en particulier, celles avec les États-Unis.
Le Bloc québécois aura donc de multiples occasions de défendre les aspirations et les valeurs québécoises et, ainsi, de faire mieux comprendre pourquoi la nation québécoise ne peut pas confier à d'autres la gestion d'une partie importante de ses affaires publiques.
Les relations fédérales-provinciales
Les conservateurs voudront sûrement faire un effort pour revaloriser le fédéralisme canadien auprès des Québécois en se disant plus respectueux des compétences exclusives des provinces et se montrant désireux de régler le déséquilibre fiscal et d'améliorer la péréquation. Leur succès cependant sera fort limité en raison de la prédominance, ailleurs au Canada, des forces montantes du nationalisme canadien, du nation building, qui favorisent une centralisation toujours plus grande des pouvoirs entre les mains du gouvernement "national" du Canada anglais.
Même les fédéralistes québécois seront déçus. Ceux-ci, en effet, ont une conception du fédéralisme qui ne correspond pas à celle du reste du Canada. Conscients de cette différence, ils souhaiteraient l'avènement d'un fédéralisme asymétrique - ce que rejettent les autres provinces. Il ne saurait donc être question, sous le nouveau gouvernement conservateur, ni d'un nouveau Meech, ni même des "revendications traditionnelles" du Québec. Le Québec restera une province comme les autres.
Le débat de la souveraineté
Il y aura, par contre, un changement significatif dans le débat sur la souveraineté du Québec : les défenseurs les plus importants du fédéralisme canadien ne seront plus des francophones du Québec, mais des anglophones du reste du Canada. Au lieu d'être un débat interne entre Québécois, cela deviendra, pour une large part, un débat entre Québécois et Canadiens. On verra graduellement toute l'importance d'un tel changement.
On peut également présumer que le camp fédéraliste se montrera moins amoral et plus respectueux des exigences de la démocratie. Armé du rapport Gomery et des prochains rapports sur Option Canada, le Bloc québécois sera bien placé pour forcer le nouveau gouvernement à se différencier à cet égard de ses prédécesseurs. On peut donc espérer que les fonds secrets et le réseau des "petits amis" disparaîtront et que le gouvernement fédéral s'engagera à respecter les lois référendaires québécoises, dont le caractère hautement démocratique a été reconnu par les tribunaux, ce qui serait un gain majeur pour la démocratie.
Tout cela pour dire que les changements qu'apportera l'avènement d'un gouvernement conservateur minoritaire ne seront pas de nature à résoudre le problème fondamental de la place du Québec dans le fédéralisme canadien. Les acteurs ont changé, mais, pour l'avenir immédiat, la conjoncture politique canadienne reste bloquée.
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