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 Les Francophones se méprisent les uns les autres

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MessageSujet: Les Francophones se méprisent les uns les autres   Les Francophones se méprisent les uns les autres EmptyDim 17 Juil - 11:17

Les Francophones se méprisent les uns les autres
José Fontaine
Chronique de José Fontaine Vigile.net
samedi 16 juillet 2011 235 visites 1 message

Un ami québécois m’a envoyé une interview de Jean Quatremer sur ce site rattaché à l’Université de Montréal.. Jean Quatremer est correspondant de Libération à Bruxelles depuis 20 ans.

L’Histoire ?

D’emblée, Quatremer annonce que pour comprendre la Belgique, il faut partir de l’histoire et de « ce que disent les Flamands eux-mêmes » (ce que disent les Wallons n’ayant aucun intérêt : cela sera suggéré constamment) ! Puis que la Belgique, accident de l’histoire, est une création diplomatique sans volonté nationale intérieure. Les Wallons, lors de la création de l’Etat belge en 1830, auraient eu « vocation » à se rattacher à la France (pays non pas « par accident », mais par « essence » ?), mais les grandes puissances européennes ne l’auraient pas voulu, car, 15 ans après l’aventure napoléonienne, on ne voulait pas que la France revienne une nouvelle fois jusqu’au Rhin. En fait la vraie « création diplomatique » en ce temps-là qui concerne la Belgique, c’est le Royaume uni des Pays-Bas en 1815 (comprenant l’actuelle Belgique, le Luxembourg et la Hollande). La révolution belge de 1830, survenant peu de temps après la révolution de juillet à Paris (qui mit fin à la Restauration en France et établit une monarchie constitutionnelle), mettait en cause gravement, justement, cette vraie création diplomatique, mais de 1815. La Prusse, la Russie, l’Autriche ne virent pas nécessairement d’un bon oeil ce bouleversement si rapide d’une des réalisations importantes du Congrès de Vienne en 1815 (triomphe momentané de la réaction contre les idées françaises révolutionnaires), établissant une grande puissance (les Pays-Bas unis), à la frontière nord de la France. Mais la France et l’Angleterre en soutinrent le principe. La France intervint même militairement en août 1831 pour sauver le nouvel Etat belge d’une invasion hollandaise. Cela confirmait d’ailleurs son impérialisme militaire et la Belgique est demeurée longtemps encore sa proie rêvée (sous Napoléon III, notamment).

Jean Quatremer dit que l’on aurait « mis ensemble » la Wallonie et la Flandre, pour souligner le caractère artificiel de cet Etat. Mais cette expression est fausse. Car les pays wallons et flamands (sauf cependant une partie de chacun d’eux qui relevaient de la Principauté de Liège), avaient toujours été (politiquement en tout cas), insérés dans les mêmes ensembles politiques depuis plusieurs siècles (et c’est vrai aussi des Flamands et des Wallons de la Principauté liégeoise).

Un pays artificiel ?

Il a existé une nationalité belge avant 1830 et même 1789. On l’enseignait dans les collèges des jésuites depuis le XVIIe siècle. En 1789, cette nationalité se donna même un Etat, certes éphémère, après la révolution qui en chassa les Autrichiens. Bien entendu la division entre Wallons et Flamands y était marquée, et même profondément marquée (également dans la partie politiquement liégeoise de l’ensemble belge à venir). Jean Quatremer semble s’amuser (sur un ton de mépris qu’il ne va jamais abandonner), du fait que les Belges aient voulu d’abord une République, puis qu’ils aient abandonné l’idée. Cela n’a pourtant rien d’étrange. L’Europe d’alors n’en comptait aucune (sauf la Suisse). La Belgique est-elle un pays artificiel ? Le journaliste de Libération nuance un peu son propos en disant que tout pays l’est d’une certaine façon, car l’oeuvre des hommes. Mais dire qu’il n’existait pas de volonté nationale intérieure de créer la Belgique me semble difficile à soutenir.

Dans le cadre belge, la Wallonie devint (parfois en chiffres absolus, parfois en proportion de ses habitants et de son territoire), la deuxième puissance industrielle mondiale, avec comme conséquence qu’Anvers devint pendant quelques décennies le premier port dans le monde, position qu’il renforça lorsque le roi Léopold II (fortement soutenu par les gouvernements belges, contrairement à la légende qui dit le contraire), créa en Afrique un Empire colonial qui était par sa superficie le quatrième Empire colonial après les Empires anglais, français et russe. Bruxelles concentra un énorme capital financier.

Lorsque l’Allemagne impériale, au début d’août 1914, demanda à l’Etat belge le libre passage pour ses troupes à travers la Belgique pour en finir rapidement avec la France avant de se retourner contre la Russie, où l’on savait que la mobilisation générale serait très lente, le gouvernement belge s’y opposa, sacrifiant ainsi, écrit, Brent J.Steele, un auteur américain, sa sécurité physique à sa sécurité ontologique (son sens de l’honneur). Deux historiens irlandais, Horne et Kramer, ont étudié les Atrocités allemandes (Tallandier, Paris, 2005), auxquelles se livrèrent les Allemands en Belgique et en France au début de la Grande guerre 1914-1918 (rien qu’en Wallonie 5000 civils fusillés dans plus de 100 localités et plus de 20.000 maisons détruites). Comme Brent J.Steele, ils estiment que la résistance militaire belge joua un rôle qu’ils considèrent comme ayant pu être décisif sur les premiers mois du conflit sinon même sur sa conclusion (et cette résistance explique les massacres de populations civiles). En effet, le plan allemand d’invasion de la France (en passant par une Belgique éventuellement passive), avait comme condition impérative de succès la rapidité de son exécution. Mais si les troupes allemandes pénétraient en Belgique le 4 août, le 5, certaines d’entre elles avaient été repoussées par l’armée belge en-deçà de leurs positions de départ, en Allemagne même ! L’Etat-Major allemand dut masser devant Liège, au lieu des 40.000 hommes du départ, 100.000 hommes et plusieurs divisions d’artillerie. Trois semaines plus tard, les Allemands étaient toujours en Belgique et n’avaient donc progressé que de quelques dizaines de km ! certes combattus également par des armées anglaises et françaises, comme à Dinant ma ville natale, dont les Allemands détruisirent complètement le centre historique et massacrèrent le quart de la population en raison de sa complicité (militaire), présumée avec les Français. Je m’arrête. Je ne me sens pas belge. Je suis en faveur de l’indépendance de la Wallonie, à terme. Mais les Wallons et les Flamands n’ont pas vécu comme des zombies dans un Etat « artificiel », on me l’accordera. Et c’est en Wallonie que fut inventée cette arme de la grève générale si caractéristique du mouvement ouvrier dans ses premières formes (voir le titre Belgian experience).

Le complexe français à l’égard de la Belgique

Il existe un complexe français à l’égard de la Belgique. Clémenceau, peu avant la victoire alliée de 1918, confia au roi des Belges qu’il avait eu du mal jusque là de prendre la Belgique au sérieux, la voyant surtout comme une ancienne province française, certainement pas comme un Etat. Dans le lien établi plus haut dans cet article en rapport avec Brent J.Steele, je montre que l’insurrection wallonne de 1950 contre le roi (que Quatremer réduit à des « manifestations »), procède aussi (c’est assez classique), d’une rage contre un roi ne soutenant pas la comparaison avec son prédécesseur et que la perte du Congo en 1960 est un des éléments, au moins « permissif » ou « facilitateur », de la très grande grève générale autonomiste de la Wallonie en 60-61 que le gouvernement à prépondérance conservatrice et flamande put réduire en utilisant dans le sillon industriel 40.000 militaires (soldats proprement dits et gendarmes). On sait que c’est le Bureau Greisch de Liège qui a conçu le grand viaduc de Millau, mais au départ, par contrat (!), les Français demandaient que cette intervention décisive demeure secrète. Certes, il existe aussi un complexe belge à l’égard de la France et Paul Tourret a bien montré dans la revue française de géopolitique Hérodote l’embarras français généralisé à l’égard de la Belgique (dont la remarque de Clémenceau est un épisode). Qui explique sans doute le silence assourdissant de l’historiographie française sur la Belgique, notamment sur son rôle politique et militaire en 1914. Qui contraste avec la très bonne connaissance de la Belgique chez les chercheurs de langue anglaise ou allemande (les deux plus fortes « littératures » dans le monde)

Mépris des Flamands et des Bruxellois

C’est sans doute ce qui explique le mépris de Quatremer tout au long de l’entretien. Il glisse sans subtilité du régionalisme de la Flandre à son « racisme » (?), qu’il croit illustrer par le slogan flamand « Ce que la Flandre fait elle-même, elle le fait mieux », qui n’est en rien raciste, mais exprime la volonté d’autonomie de la Flandre par rapport à la Belgique fédérale et qui ne vise que ses propres affaires, ce qui me semble légitime. Selon Jean Quatremer, sans l’Union européenne, Bruxelles ne serait qu’un « trou à rats », sans industries, ni commerces (?), alors que Bruxelles est une métropole dont le rayonnement englobe sans doute au moins 2 à 3 millions de Wallons et de Flamands et où 600.000 personnes travaillent tous les jours. Dans les services si importants pour les économies contemporaines (et on y comptabilise le cinquième du PNB belge).

Plus importante donc que n’importe quelle autre ville de France sauf Paris (qui n’est donc entouré que de trous à rats comme Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Bordeau, Nice, Toulouse... ?), et cela depuis bien avant la construction européenne. Quatremer pense aussi que les autorités flamandes ont l’intention d’imposer un jour l’indépendance aux Flamands un peu comme les deux nationalités tchèques l’ont imposée à leurs ressortissants. Il oublie de manière un peu consternante que même si elles sont démocratiques, la plupart des nations démocratiques dans le monde auraient bien du mal à indiquer le moment fondateur et formellement démocratique de leur avènement. Si le Québec était devenu indépendant à la suite de son référendum de 1995, c’eût été (on ne le sait pas assez), une première mondiale pour un pays du monde démocratique développé. Ce qui pose d’ailleurs un problème à la théorie de la souveraineté nationale...

Quant aux Wallons...

Quatremer n’a pas tort de dire que la particularité de la Belgique fédérale, c’est de n’avoir que des partis régionaux, mais est-ce au Canada qu’il faut s’en étonner - au moins comme il le fait - le Canada où le PQ est tout de même dans un cas non pas identique mais analogue avec quelques autres partis du Québec ? Mais ses étonnements, teintés de haussements d’épaules sur mon pays que je trouve assez insupportables, découlent aussi de son total manque de culture du fédéralisme. Les rares grands Etats unitaires dans le monde cachent leurs complexités derrière leur indivisibilité auto-proclamée. Telle la France, dont nous parlons avec tant de fièreté la langue en Wallonie, ce qui fait que je trouve encore plus insupportable la manière hautaine dont Quatremer nous écarte de toute importance humaine. Il est vrai qu’il dit au début de son interview : « comme le disent les Flamands eux-mêmes ». C’est sa seule référence ! Les Flamands ont monté en épingle les transferts d’argent de la Flandre à la Wallonie, alors que ceux-ci sont les plus faibles d’un phénomène généralisé en Europe et la Wallonie ne vit pas que de cela - loin de là ! Si même cette théorie est fondée. La Wallonie est d’ailleurs la région du monde où la Flandre écoule le plus ses produits. Et la relative pauvreté de la Wallonie a une explication qui ne tient pas seulement au déclin industriel des années 70 à 90, mais aussi à une politique flamande de domination économique très dure.

Comment un journaliste correspondant à Bruxelles (à moins que ce ne soit cela), depuis 20 ans, ose-t-il dire que 100% de Wallons sont en faveur de la Belgique unitaire ? Et cela, selon les sondages ? Ou que le rattachisme à la France serait devenu moins tabou qu’avant, alors que des manifestations et des assemblées dans les années 30 et 40 le portaient aux nues, peut-être d’ailleurs plus que maintenant ? Il est vrai que la Flandre domine le pays, mais il est vrai aussi - bien plus gravement qu’au Québec où pourtant cela inquiète et pas qu’un peu - que la Flandre peut considérer sa francisation ou son anglicisation - en tout cas la disparition de sa langue - comme une hypothèse plausible. L’angoisse économique wallonne devant l’avenir est peut-être en voie de s’apaiser grâce à de vigoureux plans de redressement. L’angoisse flamande est plus grave, mais sur un autre terrain. Ce qu’il faudrait dire pour expliquer la Belgique, ce sont ces deux inquiétudes. Et en 20 ans, il y aurait eu moyen de s’en apercevoir.

Meurtri, profondément

Enfin, le mépris de Quatremer a sans doute été tellement contagieux que lorsqu’il évoque l’indépendance de la Wallonie, la comparaison qui vient à l’esprit de son interlocuteur québécois, c’est celui de Monaco ! Comparaison parfaitement absurde (et à cela, tout de même, Quatremer, répond qu’il n’y a aucune comparaison entre les 2 km2 de Monaco et le territoire wallon de 16.000 km2 avec ses 3,6 millions d’habitants). Auxquels je voudrais bien ajouter ses deux aéroports (le 2e belge pour les voyageurs et le 8e européen pour le fret), l’une des meilleures universités d’Europe à Louvain, le 3e port fluvial européen à Liège, les industries de pointe en chimie fine, dans les industries spatiales, aéronautiques, en biotechnologie, logiciels informatiques, la richesse culturelle du pays wallon, notamment dans la musique, la littérature et le cinéma etc. Mais aussi le fait que les Wallons sont, après la France, et le Québec, les troisièmes contributeurs à l’Agence internationale de la Francophonie.

Ah ! oui ! tiens ! la Francophonie ! On s’attendrait, à cause d’elle, à ce que, lorsqu’un Français et un autre francophone parlent d’un autre pays francophone il y ait, au moins, de l’empathie, de la bienveillance, une certaine complicité. Rien de tout cela ici. J’imagine même qu’un spécialiste de n’importe quelle autre contrée du monde, interrogé dans le même cadre, aurait été prudent, nuancé, respectueux à l’égard de la contrée évoquée. Rien de tout cela ici. En tant que Wallon, écoutant d’autres Francophones parler de mon pays, j’ai rarement été aussi meurtri. Sauf peut-être lorsque, scandalisé, j’entendais, à Québec de jeunes Français imiter, au musée de la civilisation, l’accent des sommités universitaires s’exprimant sur la Nouvelle-France et ce Québec dont l’enthousiasme devait, dans l’esprit du général de Gaulle, faire que la France en vaudrait mieux... Et ne soit plus ce pays de veaux qu’il a parfois évoqué.

Mais je lui laisse la responsabilité de cette déclaration.

Malraux disait : « La gauche c’est la présence dans l’histoire de la générosité par laquelle la France a été la France pour le monde. » Cela, je m’y accroche quand même malgré certains ruminants.

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