Par Éric Darier, Ph. D., Directeur de Greenpeace au Québec, 14 juillet 2011 19:20
Priez pour nous, pauvres pêcheurs
Que ce soit au rayon poissonnerie, au rayon surgelé ou encore celui du thon en boite, les étals de nos supermarchés regorgent de poissons, fruits de mers et crustacés. Une abondance qui ne reflète pourtant pas la situation que vivent actuellement quantité de pêcheurs à travers le monde. Leur constat: nos océans se vident petit à petit et l’activité-même est menacée. À l’heure où la demande en produits de la mer n’a jamais été aussi grande, le secteur des pêcheries connaît une crise sans précédent.
Éric Darier
Après un siècle de pêche intensive, la régénération de nos océans se fait de plus en plus difficilement. Sans compter que durant la seconde partie du XXe siècle, soit entre 1950 et 2010, les activités de pêche au niveau mondial ont plus que doublé. Après un pic des pêcheries dans les années 1980, nous assistons mantenant au déclin de cette activité vieille comme le monde, et ce, particulièrement en Europe où 9 poissons sur 10 présents en supermarché proviennent de stocks surexploités.
Des méthodes destructrices et non-équitables
À la surexploitation des espèces de poissons commercialement appréciées s'ajoute la destruction des fonds marins du fait du recours à des méthodes de pêche non-sélectives et qui endommage durablement les écosystèmes dont dépendent de nombreuses espèces. Le chalutage de fond par exemple, une technique particulièrement dommageable, consiste à trainer un filet pouvant mesurer 5 km de large sur 2 km de haut et servant à aller racler les fonds marins pour aller chercher des poissons de fond comme la raie. On estime que le taux de prises accessoires dû à ce type de pêche équivaut chaque année à 27 millions de tonnes. Un gaspillage incroyable des ressources!
C'est malheureusement une des méthodes utilisées par les bateaux-usines, ces grands chalutiers qui fournissent aujourd'hui la majorité des produits de la mer que nous achetons, et qui faute de trouver du poisson dans les eaux européennes et nord-américaines se tournent aujourd'hui vers les eaux de pays en voie de développement comme la Mauritanie ou le Sénégal.
Le rôle des supermarchés
Mais si les industriels de la pêche persistent à surexploiter les océans avec parfois l'aide complaisante des États côtiers, les supermarchés ont aussi leur part de responsabilité. C'est ce que cherche à démontrer Greenpeace avec la parution chaque année de son Classement des supermarchés. Selon des critères précis comme les politiques d'approvisionnement en produits de la mer, l'étiquetage ou encore la vente d'espèces menacées d'extinction, l'ONG établit une note à chacune des enseignes visées. Depuis le premier palmarès, paru en 2009, les compagnies ont toutes fait des efforts. Certaines se sont contentées de retirer quelques espèces parmi les plus menacées de leurs étals; d'autres, comme Loblaws ou Overwaitea, plus avancées, travaillent à radicalement changer leur chaîne d'approvisionnement en privilégiant les produits provenant de pêcheries durables, c'est-à-dire issus de stocks non-surexploités et capturés à l'aide de méthodes moins destructrices pour les océans.
L'aquaculture, une fausse bonne idée
Dans un contexte où la demande s'accroît et où les stocks de poissons sauvages diminuent, la pisciculture est souvent présentée comme étant la solution. Elle apporte pourtant son lot de problèmes tant en terme de pollution côtière que de menace pour les espèces sauvages et contribue à augmenter davantage la pression sur les océans. Par exemple, les élevages intensifs de saumon endommagent considérablement les écosystèmes en raison des nombreux antibiotiques et pesticides utilisés pour combattre les maladies. De plus, les déjections produites par les élevages diminuent la quantité d'oxygène dans l'eau, ce qui nuit gravement à la santé des écosystèmes indigènes dans le cas d'élevage en pleine mer.
La solution miracle?
À moins de réussir à multiplier les poissons comme aux temps bibliques, la seule solution pouvant permettre aux espèces menacées de se rétablir serait la mise en place à grande échelle d'un vaste réseau de réserves marines protégées. Ces zones ne représentent aujourd'hui pas plus de 0.8% de la superficie totale des océans et revêtent pourtant un intérêt certain. D'abord écologique pour permettre la protection et la restauration des milieux naturels, mais aussi halieutique. On constate en effet que partout où des réserves interdites à la pêche et aux activités d'extraction ont été créées, le nombre, la taille des poissons et leur capacité à se reproduire ont augmenté. De nombreuses ONG réclament que soient mises en place des réserves marines protégées équivalant à 40% du couvert océanique. Lasse d'attendre que les autorités fassent leur travail, l'une d'entre elle est allée jusqu'à déposer de gros blocs de granit sur le plancher océanique pour empêcher le chalutage profond. Ces blocs dont la localisation a été transmise aux autorités concernées serviront à recréer le paradis perdu auquel devaient ressembler les fonds marins avant, bien avant que la pêche ne devienne un péché..