Démocratie(s) en péril
La Grèce en pleine révolte populaire
Risque de contagion internationale élevé (même le Québec est concerné)
Richard Le Hir
Tribune libre de Vigile
mardi 14 juin 2011 335 visites 2 messages
Il se déroule en Grèce en ce moment une tragédie dont on cherche à nous cacher l’ampleur, une tragédie qui, par une de ces ironies mordantes dont seule l’histoire a le secret, met justement en jeu le plus grand cadeau de la Grèce Antique à l’humanité : la démocratie.
En effet, la démocratie est désormais en péril en Grèce où un gouvernement social-démocrate a choisi de se retourner contre le peuple qui l’a élu pour faire le jeu des grandes banques internationales créancières du pays, et le déposséder non seulement de ses acquis sociaux, mais également de son patrimoine collectif par le jeu d’une privatisation aussi sauvage que systématique.
Devant cette agression sans précédent, le peuple est descendu dans la rue qu’il occupe sans désemparer depuis bientôt trois semaines, non seulement à Athènes, la capitale, mais dans toute la Grèce comme l’illustre éloquemment la carte ci-dessous parue dans un article mis en ligne par Vigile hier :
« Deux semaines (nous en sommes maintenant à trois) après ses débuts, le mouvement des « Indignés » grecs fait déborder les places des villes du pays par des foules énormes (souvent plusieurs dizaines de milliers) criant leur colère, et fait trembler le gouvernement Papandreou et ses soutiens locaux et internationaux. Ce n’est plus ni une simple protestation ni même une mobilisation d’ampleur contre les mesures d’austérité. Désormais, c’est une véritable révolte populaire qui balaie la Grèce ! Une révolte qui crie haut et fort son refus de payer « leur crise » et « leur dette » tout en vomissant le bipartisme néolibéral sinon l’ensemble d’un personnel politique aux abois. »
J’ai beau être un mordu d’information et suivre l’actualité internationale en m’abreuvant à plusieurs sources, nulle part n’avais-je trouvé dans la grande presse internationale un écho de ces événements au cours des trois dernières semaines. J’ai donc été solidement interpellé par les commentaires suivants, toujours dans le même article :
« A ce moment s’impose pourtant une interrogation : comment est-ce possible qu’un tel mouvement de masse qui, en plus, est en train d’ébranler un gouvernement grec au centre de l’intérêt européen, soit passé sous un silence assourdissant par tous les medias occidentaux ? Pendant, ses 12 premiers jours, pratiquement pas un mot, pas une image de ces foules sans précédent hurlant leur colère contre le FMI, la Commission Européenne, la Troïka (FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne) et aussi Mme Merkel et le gotha néolibéral international. Absolument rien. Sauf de temps en temps, quelques lignes sur « des centaines de manifestants » dans les rues d’Athènes, à l’appel de la CGT grecque. Étrange prédilection pour les manifs squelettiques des bureaucrates syndicaux totalement déconsidérés, au moment même où, à quelques centaines de mètres plus loin, d’énormes foules manifestent jusqu’à très tard après minuit depuis deux semaines…
Il s’agit bel et bien d’une censure aux dimensions inconnues jusqu’à aujourd’hui. D’une censure politique très organisée et méthodique, motivée par le souci de bloquer la contagion de ce mouvement grec, de l’empêcher de faire tache d’huile… »
Deux phénomènes différents donc, une révolte populaire, et la censure, tant la première constitue aux yeux des pouvoirs de ce monde une menace à leur hégémonie.
Le prochain chapitre de la révolte populaire doit se jouer demain. En effet, les manifestants sont invités à ceinturer le Parlement et à en bloquer l’accès en fin de matinée pour signifier leur opposition à la ratification des accords conclus avec le FMI http://www.occupiedlondon.org/blog/.
Un universitaire grec influent, Panagiotis Sotiris, résume ainsi l’enjeu de ce soulèvement populaire :
« What we are experiencing is history in the making. Let’s hope that the outcome will be the reversal of the policies of neoliberal social destruction and the opening up of the possibility of radical social and political alternatives. »
Le renversement des politiques néolibérales de destruction sociale… Après les génocides et les ethnocides, voici les « sociocides », si je peux me permettre ce néologisme…
Beaucoup moins loin de chez nous que la Grèce, chez nos voisins américains, les mêmes forces destructrices sont à l’œuvre. Pas surprenant lorsqu’on constate qu’hier, au moment même où l’agence de notation de crédit Standard & Poor’s annonçait la décote à CCC de la dette grecque, Bill Gross, le grand patron de PIMCO, une des plus grandes maisons d’investissement au monde faisant affaires dans 11 pays, et particulièrement spécialisée dans les titres obligataires, déclarait ceci : « US is in even worse shape financially than Greece », en évaluant la dette publique totale des États-Unis à environ 100 000 milliards $ US, soit environ 6,5 fois son PIB annuel.
À côté de situations financières aussi catastrophiques, celles du Canada et du Québec sont des modèles de vertu. Plus particulièrement au sujet du Québec, La Presse publie ce matin une chronique de Claude Piché qui est particulièrement édifiante, tant elle va à l’encontre des idées reçues et souvent colportées par La Presse elle-même.
Le Québec ne serait pas la « province de quêteux » qu’on lui fait la réputation d’être. Il était temps qu’on s’en rende compte et que La Presse le souligne. C’est pourtant la Même Presse qui publiait en décembre une prétendue « étude » d’un prétendu « éminent spécialiste international » qui prétendait que la situation financière du Québec était comparable à celle de la Grèce. J’avais alors qualifié ici-même sur Vigile la publication de cette étude de tentative éhontée de manipulation de l’opinion publique québécoise.
Ça vaut la peine de le répéter : hier, S&P abaissait la dette grecque au rang d’obligation de pacotille (junk bond) et l’un des plus grands financiers américains disait que la situation des États-Unis est encore pire. Or les obligations du Québec sont cotées AA-. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je n’échangerai pas notre situation avec celle des États-Unis pour tout l’or au monde.
Pourtant, il y a des hurluberlus dans la société québécoise qui voudraient nous voir prendre le même chemin que les plus hurluberlus des Américains, les Éric Duhaime, les gens de l’Institut économique de Montréal, les François Legault, les Joseph Facal, les Lucien Bouchard et autres Lucides illuminés de ce monde !
En Europe, comme l’illustre l’exemple de la Grèce, on censure l’information. Ici, on la manipule. Du pareil au même, pour profiter au même monde.