Un indépendantisme toujours inassouvi
Courrier international - jeudi 9 novembre 2006
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Québec
The Economist (Londres)
Pourquoi donc les Québécois rêvent-ils encore de sécession ? Fin 2005, The Economist tentait de répondre. Une analyse toujours d’actualité.
Les Canadiens anglophones espèrent depuis dix ans que la soif d’indépendance du Québec s’est apaisée. Les Québécois avaient dit non à la sécession en 1980 et l’on redit en 1995, quoique avec une marge infime (50,6 % contre 49,4 %). Pourtant, les espoirs d’indépendance se ravivent dans la province. Nul n’est en mesure de dire si ce regain durera. Certaines de ses causes sont sans doute passagères. Parmi celles-ci, il y a le fait que le Parti québécois (PQ) séparatiste est dans l’opposition et que le gouvernement libéral, au pouvoir depuis 2003, est devenu impopulaire. [Les deux partis sont aujourd’hui au coude-à-coude dans les sondages]. Les séparatistes profitent également du mécontentement suscité par le "scandale des commandites", une série de révélations qui montrent qu’après le référendum de 1995 un programme fédéral destiné à promouvoir l’image du Canada au Québec a été synonyme de corruption.
Détacher le Québec du Canada sera une tâche herculéenne. Le PQ doit d’abord ravir le pouvoir aux libéraux. Même alors, il aura du mal à organiser un référendum et à le gagner. Car si une majorité de Québécois se disent prêts à voter oui, beaucoup assurent en même temps qu’ils ne tiennent pas pour l’instant à ce qu’une telle consultation soit organisée. Par ailleurs, tous les sondages ou presque indiquent que le soutien québécois à l’indépendance s’accompagne du désir que la séparation s’effectue à l’amiable. Et, bien sûr, le gouvernement fédéral a tout lieu de signifier aux électeurs que cela ne se passera pas ainsi.
Alors la menace d’un référendum serait-elle du bluff et la fédération canadienne ne risquerait-elle rien ? Pas si vite. Car le regain de séparatisme est peut-être le signe qu’il s’agit d’une cause durable, mais qu’il lui a fallu dix ans pour se remettre de son échec en 1995.
L’attrait jamais démenti de la cause séparatiste laisse les non-Canadiens perplexes. Quand de Gaulle avait lancé en 1967 à Montréal "Vive le Québec libre !", les Québécois francophones étaient une majorité défavorisée dans une province où la minorité anglophone dominait l’économie et beaucoup d’autres secteurs. Les francophones avaient des raisons de craindre pour la survie de leur culture, de leur langue et de leur identité. Deux d’entre eux, Pierre Trudeau [Premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984] et René Lévesque [Premier ministre du Québec de 1976 à 1985], élaborèrent chacun leur théorie sur la réponse à apporter. Leurs approches semblaient aux antipodes l’une de l’autre. Pour Trudeau, il s’agissait de prendre le contrôle des institutions fédérales, et de placer le Québec francophone au centre du système canadien. Lévesque, lui, voulait l’indépendance, mais en attendant il souhaitait édifier l’État québécois de l’intérieur par le biais de la "révolution tranquille".
Ces théories étaient-elles vraiment antinomiques ? Trente ans plus tard, on constate qu’elles ont toutes deux donné des résultats. Trudeau a créé en tant que Premier ministre une fédération où le français est installé comme langue officielle à égalité avec l’anglais (même s’il n’est la langue maternelle que de 22 % de la population). Et au Québec lui-même, les péquistes ont rendu possible l’émancipation culturelle et économique dont rêvaient les francophones. Des lois linguistiques draconiennes ont détrôné l’anglais : depuis les années 1970, les anglophones seraient près d’un demi-million à être partis, laissant derrière eux une province dotée d’une nouvelle classe entrepreneuriale dynamique et francophone qui n’a plus guère de raison de craindre l’acculturation. Si le souverainisme était un moyen de parvenir à ces fins, il a brillamment réussi. Dans ce cas, pourquoi la cause est-elle toujours vivace ?
C’est une énigme, dont l’explication la plus simple est peut-être celle-ci : le Québec veut être traité comme une nation indépendante parce qu’il se ressent comme tel - et peut-être plus encore aujourd’hui qu’à l’époque où ses griefs étaient plus importants. Il suffit de se rendre à Montréal pour comprendre que le Québec est bien la "société distincte" qu’il prétend être. Après tout, Montréal est la troisième ville francophone du monde (après Paris et Kinshasa), pas tellement plus éloignée de l’Europe qu’elle ne l’est de Vancouver, et bien plus proche dans l’esprit. Comme le dit Jean-François Lisée, professeur à l’université de Montréal et ancien conseiller du PQ : "Il y a ici une nation consciente de son existence, qui ne comprend pas tout à fait pourquoi elle vit dans la nation de son voisin."
À l’ouest, on se réjouit de voir le québec perdre de sa puissance
Si le nationalisme n’avait pour moteur que le sentiment d’injustice, il aurait peut-être disparu à l’heure qu’il est au Québec. Mais il peut aussi être mû par la confiance en soi. En 1980, beaucoup de Québécois avaient été effrayés par le coût et les incertitudes d’une aventure en solitaire. Maintenant qu’ils sont intégrés à l’économie mondialisée, ils se sentent plus sûrs de la capacité d’un Québec indépendant à prospérer. Les Québécois ne sont pas des fans de George Bush, mais leurs échanges commerciaux avec les Etats-Unis se sont intensifiés. Ils considèrent, sans doute à juste titre, qu’en cas de séparation ni Washington ni le reste du Canada n’auraient intérêt à les expulser de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Deux éléments vont toutefois modifier l’équation indépendantiste. Premièrement, la santé économique du Québec pourrait décliner. Pour des raisons encore mal comprises, mais peut-être parce que la "révolution tranquille" a libéré les Québécois du catholicisme en même temps que de la domination anglaise, le taux de natalité de la province baisse depuis des années. A partir de 2012, c’est la population active qui va commencer à décroître.
Deuxième changement : le poids du Québec dans le reste du Canada va diminuer. Pour M. Lisée, les chiffres contredisent l’idée que la fédération a résolu le problème québécois par sa politique de bilinguisme à l’échelle du pays puisque, hormis au Québec et en Acadie, le nombre de francophones diminue de moitié à chaque génération. En dehors du Québec, parmi les Canadiens dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, les locuteurs de chinois ne sont pas loin de dépasser les francophones, si ce n’est déjà fait. Pendant combien de temps encore, se demande M. Lisée, le gouvernement d’Ottawa pourra-t-il défendre la politique qui consiste à recruter prioritairement dans l’administration des francophones, ou des anglophones parlant français ?
A l’Ouest, où les habitants se plaignent d’avoir été négligés tandis qu’Ottawa se pliait aux exigences québécoises, on se réjouit discrètement de voir l’arrogante province perdre un peu de sa puissance. A Ottawa aussi, certains fédéralistes veulent croire qu’un Québec moins riche et plus faible oubliera ses rêves insensés de sécession. Mais le Québec le fera-t-il ? Des péquistes comme M. Lisée affirment que l’actuel compromis entre le Québec et le Canada est condamné par la pression inexorable de la démographie. Si ce compromis se défait, les Québécois risquent de se sentir encore plus attirés par l’indépendance.
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