Anti-impérialisme bien ancré dans le droit international
Tiphaine Dickson
Le Devoir - lundi 2 octobre 2006
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L’historienne Béatrice Richard, citée par Antoine Robitaille dans son examen fascinant de l’histoire et des causes de l’opposition québécoise à de nombreuses guerres (« Le pacifisme, maladie ou vertu québécoise ? », Le Devoir, 23 septembre 2006), évoque, avec justesse, la nature anti-impérialiste de cette objection.
Ainsi, il est sensé de conclure que rien dans « l’esprit québécois » ne peut ipso facto être identifié qui soit lâche, mais bien davantage que les aventures impériales entreprises par des puissances étrangères n’ont jamais emballé les Québécois.
Et pour cause. La Charte de l’Organisation des Nations unies a comme pierre angulaire l’interdiction du recours à la force dans les relations internationales, et assujettit l’utilisation de la violence aux décisions du Conseil de sécurité, lesquelles devront être prises seulement si les autres mesures prévues à l’article 41 de la Charte sont insuffisantes pour maintenir ou restaurer la paix et la sécurité internationales.
Ainsi, la tendance à s’opposer aux guerres, tout particulièrement les guerres que l’on peut qualifier d’« impériales », a de solides assises dans le respect du droit international. Ce qui moralement n’a rien de lâche, bien au contraire.
La guerre juste
Que penser, alors, du nouveau rapport que le Québec est en train de développer avec la guerre, pour autant qu’il s’agisse de guerre juste ? Il est utile de se poser la question de savoir, aussi, comment on procède à une détermination du caractère « juste » d’une guerre.
Dans notre vie courante, le potentiel de recourir à la violence est balisé par le Code criminel. Il en va ainsi des affaires internationales qui sont soumises au droit international. D’aucuns pourraient soutenir que cette notion de droit international est floue, politique, voire même factice, depuis la fin de la guerre froide. En effet, la seule superpuissance a pu s’engager dans des actions militaires contre des pays étrangers, soit avec l’aval du Conseil de Sécurité (Irak, 1991) ; sans l’autorisation des Nations unies, mais avec une coalition dite « régionale », l’OTAN (Yougoslavie, 1999) ; et sans autorisation formelle aucune (Afghanistan, 2001 et Irak, 2003).
Toutes ces guerres ont été présentées comme étant justes. Toutes les justifications s’appuyaient sur des allégations factuelles et des arguments moraux. Mais elles étaient loin d’être toutes légales, tant dans leur déclenchement que dans leur exécution.
Quant aux éléments factuels présentés parfois avec grande émotion, et toujours avec une conviction solennelle, plusieurs d’entre eux se sont révélés peu fiables, ou tout simplement inexacts, suite au déclenchement des hostilités.
Mais même lorsque les motifs de l’intervention initiale s’avèrent boiteux, sinon mensongers, les justifications tendant à soutenir l’action militaire initiale (et surtout le maintien d’une présence - militaire - étrangère) continuent de se déployer, et évoquent ce besoin qu’a aujourd’hui ce pays, hier la cible des bombes (parfois les nôtres), de nos bienveillants efforts de reconstruction et de démocratisation. Voilà qui peut sembler constituer une cause juste, et pourtant, n’avions-nous pas dépassé, avec les décolonisations, avec la Révolution tranquille, la tentation de mission civilisatrice ?
Crime contre la paix
Le jugement de Nuremberg nous a légué une leçon aussi importante qu’elle est claire : le crime contre la paix, l’agression, constitue le « crime international suprême », et l’agression se distingue des autres crimes internationaux en ce qu’elle contient, en elle, le germe de tous les autres crimes de guerre.
On pourrait souhaiter que, quel que soit le « nouveau rapport » que le Québec serait à façonner avec la guerre, il garde à l’esprit que ses objections à des guerres d’agression sont parfaitement compatibles avec le droit international. Le scepticisme devant les allégations factuelles et les arguments trop souvent chargés d’émotion (parfois démagogique, parfois plus subtile, aux accents humanitaires) n’est pas symptôme d’une pathologie ou de couardise. Devant le « crime international suprême », il est moralement et légalement correct de s’objecter, et peut-être s’agit-il d’un devoir (moral et citoyen) de s’enquérir des causes et des intérêts véritables qui motivent les grandes puissances à fourbir les armes.
Les incubateurs de la première guerre du Golfe, les armes de destruction massive de la seconde, nous auront certainement appris qu’il est sain de se méfier de certaines informations qui nous arrivent de l’étranger. (Le récent épisode Jan Wong nous démontre que même au très respectable Globe and Mail, il est possible de conclure qu’au Québec - et seulement au Québec -, il n’est pas répugnant de parler de la pureté ethnique. Se méfier ? Absolument !)
Ainsi, les procès de Nuremberg, et les idéaux ayant animé l’établissement de l’organisation des Nations unies - soit la détermination de mettre fin au fléau de la guerre et d’assurer le droit des peuples à l’autodétermination - soutiennent bien l’attitude québécoise face à la guerre. Ni vertueuse, ni malade, mais simplement rationnelle et morale.
Tiphaine Dickson : Avocate
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