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 Des juges en culottes courtes

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MessageSujet: Des juges en culottes courtes   Des juges en culottes courtes EmptyJeu 7 Sep - 18:29

Yves Michaud condamné par des « juges » en culottes courtes


Jean Claude Hébert
Le Journal Barreau du Québec - jeudi 7 septembre 2006






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Me Jean-C. Hébert, LL. M.
Le Journal Barreau du Québec Septembre 2006

En décembre 2000, Yves Michaud comparaissait devant la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec. Il traitait de la francisation des immigrants. Le lendemain, sans préavis, l’Assemblée nationale adopte une résolution rédigée dans la rage froide, dénonçant « de façon claire et unanime les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive, tenus par Yves Michaud ». Coiffé du bonnet de l’âne raciste, Yves Michaud tente d’obtenir justice. Texte en main, il soutient que ses propos furent frelatés.

Ancien parlementaire, Denis Vaugeois fit écho au commentaire suivant de Robert Libman, directeur du B’nai Brith-Québec : « Depuis le déclenchement des événements, la parole de M. Michaud a été déformée de façon incroyable. Les gens l’accusent de minimiser l’Holocauste, alors qu’il n’a jamais fait ça. On l’accuse d’être antisémite. Moi je pense qu’il ne l’est pas (1). » Pour sa part, l’éditorialiste Bernard Descôteaux croit que l’affaire Michaud repose sur le reproche « d’avoir banalisé l’Holocauste alors que ses propos consistaient à rappeler que le peuple juif n’était pas le seul à avoir souffert dans l’histoire de l’humanité (2) ».

Décriant l’abus parlementaire, Yves Michaud demande réparation à ses contempteurs. Au printemps 2002, le gouvernement annonce son intention de modifier les règles en vigueur. Reconnaissant que l’Assemblée nationale n’est pas un tribunal, le ministre André Boisclair propose d’interdire la présentation d’une résolution de blâme à l’encontre de quiconque n’est pas député, sauf dans le cas d’atteinte aux droits et privilèges du corps parlementaire. Il faudrait alors convoquer le fautif. Cette volonté de changer les règles parlementaires s’est dissoute en fin de session. Depuis lors, les élus se sont désintéressés de l’affaire.

De guerre lasse, Yves Michaud se tourne vers la justice. Tant en première instance qu’en appel, il perd sa cause. Évoquant les privilèges parlementaires assurant aux assemblées législatives le contrôle exclusif de leurs débats et aux députés la liberté de parole, le juge Jean Bouchard, de la Cour supérieure, statue que la Loi constitutionnelle de 1867 empêche les tribunaux d’examiner l’exercice de ces anciennes prérogatives sous le prisme de la Loi constitutionnelle de 1982 (la Charte canadienne).

En juin dernier, la Cour d’appel (3) rejette le pourvoi de Michaud. Rédactrice de l’opinion longue du tribunal, la juge Julie Dutil rappelle l’origine et la raison d’être des privilèges parlementaires. Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 intègre dans notre Constitution les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. Or, parmi les privilèges spécifiques reconnus de longue date aux assemblées législatives, il y a la liberté de parole, protégée par une immunité judiciaire, et le contrôle exclusif d’une assemblée parlementaire de ses propres débats.

Selon l’enseignement de la Cour suprême (affaire Vaid (4)), un privilège parlementaire doit être étroitement et directement lié à l’exécution des fonctions d’une assemblée législative et délibérante. Cela comprend notamment la tâche des députés de demander des comptes au gouvernement. Le privilège a pour objet de refouler toute intervention externe susceptible de saper l’autonomie dont les députés, réunis en assemblée, ont besoin pour accomplir leur travail dignement et efficacement.

L’examen judiciaire d’un privilège parlementaire est limité à son existence et à sa portée - par opposition à son exercice (affaire New Brunswick Broadcasting Co. (5)). Dans ce corridor juridique étroit, la Cour d’appel a convenu que le mérite de la motion de l’Assemblée nationale échappait à son contrôle. « Il n’appartient pas au tribunal, a fait observer la juge Dutil, de juger ni de l’opportunité, ni de la justesse, ni de l’à-propos de celle-ci. » En somme, une Chambre d’élus peut accuser sans préavis, condamner par défaut et exécuter la peine, sans possibilité d’appel ! Au droit de parole des députés en Chambre s’attache une immunité absolue. Ils peuvent diffamer les citoyens, faire des procès d’intention et juger quelqu’un ex parte pour ensuite le fustiger publiquement. En vérité, la réputation et la dignité d’une personne vont de pair. Règle générale, la liberté de parole comporte des limites. On ne peut gratuitement piétiner la réputation d’autrui. Protégé expressément par la Charte québécoise, selon la Cour suprême (affaire Prud’homme (6)), ce droit participe de la dignité d’une personne, un concept qui sous-tend tous les droits garantis par la Charte canadienne.

Rien n’empêche le législateur de limiter la portée des privilèges parlementaires. Valable pour la société civile, un principe devrait prévaloir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des assemblées législatives. Avec l’agrément du juge Rochette, le juge Baudouin a magnifiquement décrit l’étrange paradoxe du droit dans cette notation :

« Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le droit à l’époque des chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce, sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summun jus summa injuria, auraient dit les juristes romains ! »

Rappelons pour mémoire que les élus fédéraux ont sagement prévu (avec la Loi sur les enquêtes) que, hors de l’enceinte parlementaire, la rédaction d’un rapport défavorable ne saurait intervenir sans que la personne concernée n’ait reçu un préavis suffisant de la faute imputée et, surtout, sans avoir eu la possibilité de se faire entendre. Examinant cette loi, la Cour suprême (affaire Krever (7)) a convenu qu’une bonne réputation représentant la valeur la plus prisée pour la plupart des gens, il faut impérativement respecter l’équité procédurale dans les travaux d’une commission d’enquête.

Devant cette volonté clairement affichée du législateur fédéral de protéger la réputation des citoyens à l’extérieur du Parlement, comment les députés pourraient-ils légitimement, dans le cadre d’une simple résolution à la Chambre des communes, piétiner les principes d’équité garantis par la loi et célébrés par la Cour suprême ? Le même raisonnement vaut pour l’Assemblée nationale. Lorsqu’un privilège parlementaire donne ouverture à une injustice criante, plutôt que d’agir comme des « juges » en culottes courtes, les élus devraient plutôt modifier leur code de procédure. On l’a bien vu dans l’affaire Michaud, la puissance de juger expose à l’excès.

Vu l’indolence actuelle des parlementaires, la Cour suprême serait justifiée de moduler la liberté d’expres​sion(limitée) du citoyen et la liberté de parole (illimitée) des élus, la seconde flétrissant la première. Les principes fondamentaux ne sont pas simplement des icônes destinées à une vénération formelle, mais des ingrédients actifs qui inspirent le mouvement du droit. Certes, les privilèges parlementaires sont de vieilles idées utiles à notre démocratie parlementaire. Rien n’empêche toutefois de leur tailler des habits neufs. À la réflexion, l’affaire Michaud semble faite sur mesure pour la plus haute Cour du pays.

1 Le Devoir, 13 juillet 2006, A-7
2 Le Devoir, 18 janvier 2005
3 2006 QCCA 775
4 Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667
5 New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse, [1993] 1 R.C.S. 319
6 Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663
7 (P.G.) c. Canada (Comm. Krever), [1997] 3 R.C.S. 440

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