PQ et BQ: une relation déviante au pouvoir
Marcel Lefebvre - RIQ
TRIBUNE LIBRE 6 février 2006
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Le rejet du BQ par la région de la capitale constitue bien plus qu'un simple dérapage. C'est la relation au pouvoir du mouvement souverainiste qui se trouve questionnée ici. Cette relation interroge depuis un bon moment déjà les souverainistes fatigués par les dérives du PQ vers le pouvoir provincial. Et maintenant, c'est la population elle-même (le vote de la région de Québec), découvrant l'inefficacité congénitale du BQ face au pouvoir d'Ottawa, qui s’interroge. Dans le premier cas, la recherche du pouvoir provincial est justifiée par le mythe référendaire, dans le second, on invoque la défense des intérêts québécois face au gouvernement fédéral en attendant que les attentistes (PQ) passent à l'action. On est en droit de se demander si ces deux formations politiques veulent vraiment l'indépendance du Québec? Quand on veut quelque chose, on n'emprunte pas milles détours. On y va en ligne droite. C'est encore plus vrai dans le cas qui nous occupe, car il s'agit de rien de moins qu'un renversement de l'ordre établi. Cela ne peut se réussir qu'avec un désir fort, de l'audace et de la détermination. On répondra qu'au Québec, on fait la révolution de manière ¨tranquille¨ et l'indépendance démocratiquement. La marche non-violente vers l'indépendance ne justifie pas toutefois de pareilles dérives.
L'écartèlement du PQ entre la quête du pouvoir provincial et celle de la souveraineté pose question depuis longtemps dans le camp souverainiste. Cette double poursuite qui s'est amorcée avec l'étapisme a permis l'élection surprise de 1976 et, du même coup, elle a fait naître une caste de politiciens désireux du pouvoir et qui y ont vite vu leur profit. L'étapisme en effet permet de séparer la prise du pouvoir provincial du projet de souveraineté en balayant ce dernier par en avant vers le référendum. Quant au référendum, il est lui-même suspendu à la recherche des conditions gagnantes et à un improbable signal qui viendrait du peuple. Y trouvant leur compte, les politiciens étapistes ont en quelque sorte sacralisé la voie référendaire, cette stratégie en deux temps qui leur permet de courtiser les mous lors de l'élection en ne promettant pas plus d'efficacité indépendantiste qu'il n'en faut pour négocier avec l'État fédéral. Les journalistes répètent sans cesse que le PQ est dur pour ses chefs et qu'il est ingouvernable Ils ont raison. Le PQ compte malgré tout de nombreux indépendantistes frustrés par l'attentisme qu'on leur impose et la prise en otage constante de leur cause. D'autres ont depuis longtemps quitté les rangs de ce parti. Pour eux la scission entretenue entre la quête du pouvoir et la marche vers le pays n'est plus acceptable. Elle relève soit de la manipulation politicienne ou, au mieux, d'une sorte de schizophrénie: esprit politique divisé, coupé du réel et de l'efficacité.
Avec le temps, on a fini par trouvé normal qu'on cherche le pouvoir provincial même si le but avoué est de faire le pays. Cette permission obtenue par les politiciens souverainistes de participer sans conséquences au pouvoir en place a même rendu acceptable le maintien pour plusieurs mandats d'un parti dont l'existence devait être éphémère: le Bloc Québécois. La vocation évidente du BQ relève de la logique de négociation et de protestation face au dominant bien plus que d'une obligation de résultat pour la cause. Ici, ce n'est pas la recherche d'un pouvoir provincial qui constitue la dérive, mais l'absence même de participation possible au pouvoir. Harper, en stratège brillant, en a fait son cheval de bataille lors de la dernière campagne électorale et il a gagné. Heureusement des signes montrent que cette dérive de la cause indépendantiste du Québec, loin de la ligne droite, tire à sa fin. Le choix conservateur de la région de Québec en témoigne et n'annonce rien de bon pour la suite des choses à moins qu'un sérieux coup de barre ne soit donné.
La stratégie de l'ambiguïté et de la double quête a commencé à se retourner contre le PQ et le BQ. 600,000 indépendantistes ne sont pas sortis voter en 2003 lorsque Bernard Landry courtisait les fédéralistes pour se faire élire. Le BQ, pour sa part, n'ayant pas osé mettre la cause indépendantiste de l'avant en vue de l'élection du 23 janvier dernier en a payé le prix dans l'isoloir. Il a d'abord laissé froids de nombreux indépendantistes qui ne sont même pas sortis voter. En jouant sur le terrain des dossiers de gouvernance provinciale, dossiers que partagent les libéraux et les adéquistes, il s'est fait couper l'herbe sous les pieds. Harper, mieux placé que le BQ pour apporter des correctifs au déséquilibre fiscal ou redonner à la région de Québec l'attention à laquelle elle a droit, en a profité. Si le BQ avait relevé le gant lorsque Martin l'a invité à faire de l'élection du 23 janvier une élection à saveur référendaire, il n'en serait sans doute pas là. Il a encore une fois caché sa cause et son manque d'efficience politique est apparu en toute clarté quand il a voulu jouer sur le terrain des autres. La région de Québec, plus particulièrement, a donc décidé que pour le règlement des affaires quotidiennes, on est mieux avec un parti capable de prendre le pouvoir qu'avec un parti condamné à l'opposition. Comprenons bien: ce qui commence à être clair, très clair, c'est que prendre le pouvoir d'une province pour faire un pays ou prendre l'opposition dans le gouvernement du pays que l'on veut quitter sont des choix déviants. La ligne droite a plus d'avenir et restera toujours le plus court chemin entre deux points.
Au dernier congrès du PQ, la décision de maintenir l'étapisme a été une erreur. Forcé par des membres impatients d'être plus résolument indépendantiste, le PQ a dû s'engager à tenir un référendum au cours du prochain mandat s'il est élu. Il a cru pouvoir prendre cet engagement risqué parce qu'il a présumé stables des appuis fondés sur de l'éphémère: scandale des commandites et mauvaise performance de Jean Charest. Le vent vient hélas de tourner avec l'élection de Stéphane Harper et la démarche risque maintenant d'être suicidaire. Pourtant, nombreux étaient ceux qui voulaient revenir à une trajectoire simple en proposant l'approche de l'élection décisionnelle. Ils ont vite été écartés. À l'intérieur du parti, le Mouvement pour une élection souverainiste (MES), tente toujours de maintenir la contestation de l'étapisme. Avec raison, car la voie référendaire est désormais bloquée, truffée de pièges et de malhonnêteté annoncée. Claude Bariteau dans son dernier livre "Pour sortir de l'impasse référendaire" paru chez les Intouchables en a fait la démonstration savante.
Toutefois, la thèse de l'élection référendaire que le PQ a repoussée reposait sur une interprétation stricte des possibilités offertes par le parlementarisme britannique: en bref, le parti qui prend le pouvoir avec une majorité de députés a le droit de réaliser son programme. Les défenseurs de ce type d'élection décisionnelle ne tenaient donc pas compte de la tradition du 50%+1 au Québec et partout dans le monde. Ils préconisaient des gestes de rupture qui seront inévitablement contrés par l'État fédéral et nuiront à la reconnaissance internationale indispensable à la naissance du nouveau pays. Ce manque de réalisme dans l'approche de l'élection décisionnelle a donné des armes aux opposants. Les défenseurs de l'élection décisionnelle avaient pourtant le mérite d'inviter les souverainistes à enclencher le processus et à livrer bataille dès maintenant, sans temporisation. Rien que pour cela, il faut applaudir leur démarche. Cela dit, il existe une autre façon d'entrevoir l'élection décisionnelle et elle va s'imposer très bientôt par la force des choses.
Un groupe, appelé les ¨Porteurs de pays" propose une élection décisionnelle mais, cette fois, avec la majorité de 50% +1 des appuis lors de la prochaine élection. Pour parvenir à cette majorité, il propose d'additionner les votants pour l'indépendance, peu importe le parti indépendantiste pour lequel ils auront voté. Notez bien: on ne veut pas ici additionner des députés, mais comptabiliser des votes. Bien entendu, cela implique l'existence d'un pacte entre les partis indépendantistes pour rendre prioritaire l'indépendance dans leurs programmes respectifs. De plus, cette thèse a le mérite de tenir compte d'une pluralité souverainiste de plus en plus présente dans le tissu social québécois. Québec Solidaire, nouveau parti souverainiste né hier de la fusion de l'UFP et de Option Citoyenne va obliger le PQ à s'ouvrir à la pluralité. Celui-ci ne pourra pas toujours prétendre être le vaisseau-amiral de la souveraineté et culpabiliser les autres partis indépendantistes en affirmant qu'ils divisent le vote. La nouvelle thèse de l'élection décisionnelle avec pacte a aussi le mérite de faire transcender la cause de l'indépendance en la plaçant en priorité de tous les programmes politiques des partis souverainistes. On pourra donc voter pour le projet de société que l'on aime, celui du PQ ou celui de Québec Solidaire ou encore celui d'un candidat indépendant et indépendantiste. Le PQ, qui a toujours argué que l'élection référendaire n'était pas une voie valable parce que les citoyens votent "pour plusieurs choses à la fois lors d'une élection", verra son argument devenir caduc.
L'élection décisionnelle avec pacte et majorité à 50% +1 respecte toutes les exigences de ceux qui défendent bec et ongles l'approche référendaire à cause de sa dimension démocratique. De plus elle permet d'éviter le psychodrame inhérent à un troisième référendum qui risque d'être le dernier dans l'esprit de plusieurs. Perdre une élection n'est pas comme perdre un référendum; on peut toujours se reprendre lors des élections suivantes. Cela plairait davantage à une population qui n'a de cesse de rejeter, sondage après sondage, l'idée d'un autre référendum.
Le PQ n'aime pas cette idée de l'élection décisionnelle parce qu'elle recolle les morceaux séparés: le pouvoir d'une part et la cause de l'indépendance d'autre part. Il ne l'aime pas parce qu'elle lui enlève ses possibilités de chantage à la prise du pouvoir sous prétexte que le référendum est la seule voie possible. Elle le prive également du chantage face aux autres partis indépendantistes pour cause de division du vote. L'élection décisionnelle enlève en fait le monopole de l'indépendance au PQ et redonne cette grande cause au peuple à qui elle appartient. Voyant qu'il peut maintenir son projet de société, il n'est pas impensable que l'ADQ signe ce pacte un jour et permette ainsi à ses membres indépendantistes de voter pour la souveraineté. Idem aussi pour les autres partis qui y reconnaîtront enfin la clarification des enjeux. Qu'attend donc alors le PQ pour s'ouvrir à cette possibilité? De toute façon, ne s'est-il pas obligé lui-même à mettre clairement le projet du pays de l'avant dans sa prochaine plate-forme électorale? Il a donc en un sens renoncé à courtiser les mous. La logique voudrait alors qu'il abandonne la voie référendaire, piégée. Désormais, le PQ peut vouloir le pouvoir et l'indépendance en même temps. Il lui reste à découvrir les vertus évidentes de l'élection décisionnelle et du pacte. Il a commencé à corriger sa relation déviante au pouvoir; il ne lui reste qu'à découvrir les vertus évidentes de la ligne droite.
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